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Textile : Alerte à la pénurie de main-d’œuvre

 

Le pays vit dans un profond marasme polymorphe, diront les moins pessimistes. De leur côté, les observateurs, davantage réalistes, affirment qu’il se trouve dans l’œil du cyclone. En fait, de simples différends politiques ont pu générer des crises sévères qui n’ont épargné aucun domaine en relation avec la vie quotidienne du citoyen.

Les politiciens, du sommet de la pyramide à sa base, s’évertuent encore, et depuis de longues années, à mettre sur pied un plan miracle de sauvetage qui ne semble nullement fédérer les nombreux et si différents acteurs, et non moins responsables de cette terrible situation.

Tous les secteurs, disons-nous, sont touchés et toutes les catégories. L’on recourt au pis aller, dans l’attente d’une solution miracle que personne ne semble pouvoir présenter. Et le simple citoyen en pâtit et l’économie en subit les conséquences les plus néfastes.

Mais si le peuple est réduit aux ingéniosités pour pouvoir subsister, mais que, cependant, il attend stoïquement de voir le bout du tunnel, il y en a certains qui n’ont pas cette patience, ni cette disposition. On parle, ici, des acteurs économiques, locaux ou étrangers, des investisseurs, des entrepreneurs, producteurs, manufacturiers…

Ébranlés par tous les aléas provoqués par le déclenchement de la révolution, échaudés par les mesures financières et fiscales édictées avec une fréquence régulière et croissante, une écrasante majorité d’entre eux a choisi, ou a été contrainte de mettre la clé sous le paillasson. Sans le moindre état d’âme, les investisseurs étrangers baissent le rideau, rentrent chez eux ou vont voir sous des cieux plus cléments. Au grand dam du pays, de son économie, de ses citoyens, employés de longue date.

Ils ne partent pas tous

Tous s’en vont. Tous ? Non ! Car, tel le village gaulois d’Astérix qui résiste aux légions romaines, d’indéfectibles opérateurs économiques continuent à croire en des temps meilleurs et, refusant l’idée du départ, choisissent de s’adapter à la situation, de relever les défis de la pérennité, de continuer à respecter leur engagement envers le pays, son économie et surtout envers leurs propres employés.

Installée depuis 1974 à Bizerte, l’entreprise mondiale de prêt-à-porter Van Laack Tunisie emploie quelque 800 personnes. Plusieurs générations ont pu se succéder pour servir la marque et veiller à en soigner l’image. Durant près d’un demi-siècle, les affaires de l’entreprise fleurissent, sa notoriété internationale s’affirme. L’on a craint, pour elle, les conséquences de la pandémie du Covid-19. Mais elle a su s’adapter et est toujours là, ferme, résolue.

Mais comment, dans toutes les tourmentes qui ont émaillé ce demi-siècle d’activités, a-t-elle pu résister ? Les effets de la révolution, les douze années d’errements socioéconomico-politiques ne l’ont-ils pas rebutée et poussée à l’abandon ?

Travail et confiance

La curiosité de percer le secret de la réussite, le stoïcisme, l’imperturbabilité de ses dirigeants face aux événements nous ont poussés à y aller voir.

Non, il n’y a nullement une potion magique donnant une force surhumaine aux employés, ni à leur directeur général, artisan des coups de génie qui ont pu permettre à l’entreprise de demeurer ferme dans sa résilience. Le secret est plus prosaïque. Il se résume en deux maîtres-mots : le travail et la confiance.

Le travail est une valeur partagée par le manager et ses employés, à une époque où il se perçoit comme une corvée. C’est pour Van Laack et ses salariés davantage qu’un gagne-pain, c’est une vertu patiemment inculquée et enracinée dans les esprits et les comportements. Ces employés ont-ils pensé un seul instant et durant le courant de leur vie professionnelle à débrayer, à lever le pied, à faire grève, à revendiquer un droit ? — nulle raison à tout cela, diront à l’unisson tous ceux et celles que nous avons abordés. Nos droits sont acquis et garantis, nous travaillons dans un climat serein et surtout dans le respect total de nos personnes et de nos statuts. En fait, assurent-ils, nous nous considérons comme des cogestionnaires de notre société. Jamais nous ne la quitterons de notre propre gré, ni n’exigerons que ce qui est de notre droit, lequel d’ailleurs est garanti pour tous et notre confiance demeure acquise.

Voilà, le mot est lâché, magique, plein de sens : la confiance. Il ne peut s’agir de simple confiance dont le sens pour certain est galvaudé.

Fidéliser les employés par le respect…

Nous allons voir Ghazi El Biche, directeur général, pour davantage de lumière. Il nous accueille au milieu d’une ruche grouillante d’ouvrières, toutes à leur tâche. Il n’est pas peu fier, M. El Biche de son «territoire», et de l’intense activité qui y règne.

Un partage d’une même valeur, celle du travail et de ses innombrables vertus avec un zeste de confiance ? Vous pensez que c’est suffisant de fidéliser ses employés et de créer en eux cette foi et cet engagement envers la société.

Pas le travail, ni la confiance ne suffisent en fait, quoiqu’ils soient des conditions nécessaires, explique-t-il. Rien de cela ne peut être d’une grande efficacité, s’ils ne sont pas accompagnés de stratégies mûrement réfléchies, sous-tendues par les objectifs de l’entreprise. Certes, assure-t-il, la productivité constitue un but fondé et légitime de tout investisseur, mais il s’agit de savoir mener ses gens, les convaincre du bien-fondé de cet objectif et obtenir leur adhésion.

… L’engagement «militant»…

Aujourd’hui, et malgré toutes les difficultés de toutes sortes rencontrées, je peux assurer que je me porte garant de l’engagement ferme, renouvelé et, je dirais, «militant» de tous mes employés. C’est grâce à eux, en fait, si nous avons réussi à doubler notre chiffre d’affaires et que nous visons à le doubler dans les années à venir. Tous ont admis la nécessité, en pleine crise du Covid-19 et alors que d’autres entreprises s’interrogeaient, de reconvertir notre production vers des produits adéquats, tels la fabrication des bavettes au bénéfice des forces de la sécurité. A la faveur de la crise actuelle, poursuit M. El Biche, et suite aux nombreuses défaillances d’opérateurs étrangers et locaux, nous avons pris la décision collégiale d’étendre notre champ d’activités, sollicitant les employés en inactivité et ouvrant des ateliers dans quinze gouvernorats du pays. Ceci a permis à la société de retrouver sa vitesse de croisière en vue de satisfaire une demande accrue de pas moins de cinq nouveaux clients, en Europe, notamment.

La responsabilisation et la prise de décisions

A notre demande, M. El Biche a bien voulu nous décrire sa stratégie que nous présentons succinctement, faute d’espace.

En fait, depuis de longues années et continuellement, nous avons approfondi la recherche pour savoir comment optimiser le rendement de notre société en nous basant, bien entendu, sur les aptitudes et capacités de nos employés, sachant que l’entreprise dispose de moyens de production technologiquement avancés. Ces études nous ont dicté certaines règles que nous avons fait nôtres.

Il faut d’abord que j’explique que nos employés ont acquis une compétence telle dans nos centres de formation sectoriel que nous sommes attentifs à leur intégration totale et que nous évitons de leur donner l’envie d’aller travailler ailleurs, ce qui a pour effet de limiter la perte en compétences. Nous renforçons leur engagement et nourrissons leur motivation. Nous veillons scrupuleusement à améliorer leur cadre de travail et son ambiance, car nous pensons que nous devons adopter une approche proactive dans la prévention des risques du travail sur la santé physique et mentale des salariés.

Un style de management participatif

Voilà la stratégie Van Laack Tunisie dans ses grandes lignes, sans oublier l’engagement de la société dans le concept Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) que nous avons préféré habiller du vocable Sincère, tant cette dernière notion doit être présente dans toute relation patron-employé. Je ne saurais terminer sans évoquer le style de management que nous avons mis en place, participatif, voire délégatif, qui accorde de l’importance à nos collaborateurs et contribue à un fort sentiment d’appartenance à l’entreprise. Appartenance renforcée par une rémunération juste et attrayante.

Pénurie de main-d’œuvre ?!

M. El Biche a tenu à cette occasion à lancer un cri d’alarme et à souligner un curieux paradoxe : un pays, la Tunisie qui déplore un taux de chômage élevé, souffre d’un manque de main-d’œuvre. Nombre d’entreprises sont contraintes aujourd’hui d’aller chercher des travailleurs à cinquante kilomètres de leurs sociétés. Quant à nous, qui avions une convention avec le Centre de formation professionnelle, nous sommes atterrés de voir le nombre de candidats à la formation se réduire à moins d’une vingtaine.

Mohamed BELLAKHAL

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